"Sweetie", film des années 1980 de l'Australienne Jane Campion. Il se rapporte à la famille et à l'enfance, servi par une mise en scène simple qui fait sa force.

Publié le par Josée - Vampirella Orasul

Sweetie, Australie, 1989, 1h37
Comédie dramatique de Jane Campion
Avec: Genevieve Lemon, Karen Colston, Tom Lycos
Distribué par Carlotta Films
Date de sortie: 03 janvier 1990
4 étoiles



Synopsis
Kay a peur de tout : du présent, de l'avenir, de la vie, de la mort. Tout semble s'arranger lorsqu'elle se met en ménage avec Louis, l'ancien fiancé d'une collègue. Mais ce bonheur apparent ne dure qu'un temps et ses angoisses la reprennent. C'est alors qu'apparaît Sweetie, sa jeune soeur, obèse, debraillée et sympathique, qui laisse dans son sillage un énorme nuage d'entropie...

Critique:
Drame familial toujours d'actualité, rafraîchissant par sa simplicité si l'on compare avec l'overdose de complications au coeur du cinéma actuel

La problématique de Sweetie, même si elle n'est pas nécessairement compliquée, se pose d'entrée de jeu. Le point central de l'intrigue autour duquel tourne tout le reste devient cette grosse soeur un peu folle dont on aimerait bien se débarrasser. Le père l'appelle "Sweetie", et il est très difficile de comprendre pourquoi et comment il peut encore éprouver de l'affection pour elle. En effet, il n'y a plus rien d'adorable à propos de cette jeune femme déséquilibrée, moche et désagréable qui entraîne tout le monde dans un trou noir sans limites. De toute façon, ses problèmes semblent insolubles, et le spectateur a compris depuis longtemps qu'il n'y a pas d'issue. Même si Sweetie prend toute la place (et c'est justement le problème, les autres autour la détestent et lui en veulent) il y a une autre soeur, apparemment plus normale, effrayée par la vie, qui vit elle aussi en aimant bien les contes de fées pour s'évader de son monde étouffant.

L'intelligence de Jane Campion en tant que réalisatrice réside dans son pouvoir de montrer des personnages vrais, dans toute leur complexité, ce qu'elle a aussi fait dans Holy smoke! et In the cut. Elle s'attarde au quotidien, porteur de drame. Elle filme peu de choses, mais elle en retient l'essentiel. Elle ne prétend pas trouver l'exceptionnel qui bouleverse le quotidien, mais réussit à montrer de quelle façon le quotidien nous bouleverse par ce qu'il a d'exceptionnel. Les difficultés de communication entre les êtres deviennent fascinantes. Par exemple, il n'y a pas moyen de raisonner la soeur adulte qui a gardé la mentalité d'un enfant et développe au fil du temps des psychoses non soignées. Il n'y a pas moyen de faire comprendre au père que sa "sweetie" n'existe plus.

La petite fille adorable qui faisait des tours qu'il lui avait appris ne reviendra plus. Aujourd'hui, ses tours sont dénués d'intérêt, plus personne ne regarde, sauf le père pris dans sa nostalgie, ne voulant pas abandonner sa petite fille comme sa femme l'a abandonné, lui, ne pouvant plus le supporter et le laissant avec des plats surgelés. Il a pitié de sa fille comme il aurait pitié de lui-même.

Les personnages, bien que ridicules, ne soulèvent pas le désir de se moquer: ils se rapprochent du spectateur en lui faisant partager leur difficulté d'être. Chacun semble se trouver devant un mur insurmontable. De l'amour, on ne sait plus où en trouver, ni en soi, ni dans nos relations avec les autres. Un couple se défait et ne réussit plus qu'à s'allonger l'un à côté de l'autre en se touchant les pieds, toute magie disparue. Des fragments d'amour subsistent, plus de passion. Les personnages ne s'aiment pas eux-mêmes, comment pourraient-ils aimer quelqu'un? L'ambiance lourde vient de la soeur qui monopolise l'attention, faisant planer un nuage noir au-dessus de toute les têtes. L'orage approche.

Cette grosse fille perchée dans son arbre fait pitié. On ne peut pas la haïr, mais on comprend l'épuisement de sa soeur qui toute sa vie a dû la supporter, même quand elle lui tirait les cheveux, ou qu'elle jappait comme un chien parce qu'elle n'était pas contente. Jane Campion filme le bizarre, d'une manière sobre et atténuée qui n'en est pas moins touchante. A la manière du Canadien David Cronenberg, ou de l'Espagnol Pedro Almodovar, elle présente des personnages sympathiques qui sont aux prises avec la vie et ne méritent pas ce qui leur arrive, en descendant sans fin une spirale de l'étrange. Elle filme la famille dysfonctionnelle à la manière américaine comme dans Six feet under, la série culte, ou comme dans le film La famille Addams, où les drames familiaux prennent une tournure nettement morbide.

Comme dans la scène finale de ce film, on n'enterre pas la famille aussi facilement qu'on le voudrait. Le récent film A bord du Darjeeling Limited nous l'a montré avec le recours à des situations semblables, plus ou moins cocasses. Il y a toujours une racine difficile à couper au fond dans le noir, avant de la faire disparaître pour toujours. Un beau film qui rend rêveur et qui fait réfléchir à sa propre famille et ses racines, au propre comme au figuré.

Publié dans Critiques de films

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